AVIS D’EXPERT – Le Pr Bertrand Dureuil, chef de service anesthésie-réanimation Samu au CHU de Rouen, rappelle les risques de complications respiratoires et cardiaques qu’encourent les fumeurs lors d’une intervention chirurgicale.
En France, environ 11 millions de patients, dont près de 30 % sont fumeurs, bénéficient chaque année d’une anesthésie en sorte que plus de 3 millions d’opérés sont fumeurs. Les effets nocifs du tabac sur la santé sont connus depuis de nombreuses années et si le tabagisme en France s’est un peu réduit, l’envie d’arrêter de fumer a fortement diminué depuis 2005. Dans ce contexte, bien que la perspective d’une intervention chirurgicale soit rarement réjouissante, il faut souligner qu’elle peut constituer pour un fumeur une opportunité à ne pas gâcher pour arrêter définitivement de fumer.
En effet, alors que 3 à 4 % des fumeurs abandonnent spontanément le tabac, cette proportion monte à près de
20 % au décours d’une chirurgie lourde et à 10 % après une intervention ambulatoire. Subir une opération représente une importante stimulation émotionnelle qui génère une motivation positive pour quitter le tabac ; celle- ci étant d’autant plus forte que l’intervention est importante.
Nombreuses complications
Le tabagique doit être informé qu’au décours de la chirurgie et par rapport à un non-fumeur, il augmentera de
70 % le risque d’avoir des complications respiratoires (infection pulmonaire, défaillance respiratoire, etc.), il multipliera par trois le risque des complications cardiaques (notamment d’infarctus du myocarde) sans compter le risque d’être transféré en réanimation qui lui est triplé.
Les risques induits par le tabagisme dans le contexte chirurgical sont également liés à la cicatrisation. En effet, la fumée de tabac a un effet excessivement néfaste sur les mécanismes de réparation tissulaire et qui est souvent ignoré des patients. La nicotine inhalée dans la fumée de cigarette inhibe très fortement les processus de réparation tissulaire et osseuse qui sont naturellement de première importance dans le contexte chirurgical pour assurer une cicatrisation rapide et solide, en sorte que les complications directement liées à la procédure chirurgicale sont considérablement majorées. Ainsi par exemple, le fumeur développe beaucoup plus d’infections de la cicatrice opératoire que le non-fumeur (risque multiplié par 6) et ceci est observé pour tous les types de chirurgie. Après chirurgie orthopédique, la consolidation osseuse est beaucoup plus lente et parfois incomplète.
L’occasion d’arrêter
La perspective d’une intervention chirurgicale et des risques additionnels directement liés au tabagisme motive beaucoup de fumeurs. Pour arrêter, la volonté peut suffire mais le recours à un professionnel de santé peut s’avérer nécessaire. L’idéal est naturellement que le tabagisme soit détecté dès la consultation chirurgicale et qu’une aide à l’arrêt soit immédiatement proposée. Elle peut prendre la forme de conseils mais également de prescriptions de substituts nicotiniques (patchs et/ou de gommes à mâcher) qui sont sans danger pour la cicatrisation. Dans ce contexte, l’accompagnement et l’encouragement du patient avant l’intervention augmentent clairement le succès du sevrage.
La place de la cigarette électronique comme aide à l’arrêt du tabac n’a pas encore été étudiée en préopératoire. Toutefois, il est probable que les vapeurs inhalées issues d’une cigarette électronique aient des effets très modérés sur les capacités de cicatrisation par rapport à la fumée du tabac. Ainsi, on peut penser que si la cigarette électronique permet l’arrêt ou la très forte réduction de l’exposition à la fumée de cigarette avant la chirurgie, un bénéfice peut probablement être escompté.
Plus l’arrêt du tabac s’effectue à distance de l’intervention, meilleur sera le bénéfice observé. Dans l’idéal, quatre à six semaines constitueraient un délai optimal d’abstinence. Quatre semaines permettent de récupérer des fonctions de cicatrisation équivalentes à celles d’un non-fumeur mais un arrêt, même très court, est toujours bon à prendre en termes de réduction du risque opératoire. Il est important également d’insister sur la poursuite de l’abstinence au décours de la chirurgie. En effet, c’est en phase postopératoire que les tissus opérés cicatrisent et cela prend plusieurs jours voire plusieurs semaines dans le cas d’une chirurgie osseuse. Ainsi, si un fumeur n’a pas arrêté de fumer avant l’intervention, il pourra profiter de la phase postopératoire, dans un hôpital ou une clinique obligatoirement « non-fumeur », pour s’engager dans ce challenge et contribuer à sa bonne cicatrisation.
Tout fumeur doit considérer qu’une intervention chirurgicale est l’opportunité qu’il attendait pour quitter définitivement le tabac. Pour cela, il devrait bénéficier des conseils et de l’appui des équipes chirurgicales et des anesthésistes réanimateurs et si besoin d’une prise en charge facile par un réseau spécialisé de tabacologie. Malheureusement, en 2015, peu de réseaux de prise en charge sont effectivement opérationnels.
Pour aller plus loin :
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